Les risques en cas de rupture de relations commerciales établies en période de Covid-19

La relation commerciale peut concerner la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service et les modalités de rupture s’appliquent aussi bien aux activités commerciales qu’aux relations industrielles ou aux prestations intellectuelles. Les juges considère qu’une relation commerciale est établie « dès lors qu’elle présente un caractère à la fois suivi, stable et habituel » ce qui vise notamment les contrats à exécutions successives par un exemple entre un fournisseur et un distributeur.

Dans la majorité des cas, les modalités de rupture du contrat diffèrent selon sa durée. Lorsqu’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, le principe est la libre révocation sous réserve de respecter un délai de préavis raisonnable. Lorsque le contrat a été conclu à durée déterminée, les parties sont tenues de s’exécuter jusqu’au terme, à moins de rompre le contrat d’un commun accord. Dans tous les cas, la décision de rompre le contrat doit être notifiée par écrit.

La durée du préavis est déterminée par l’article L442-1 II du Code de commerce selon l’ancienneté de la relation commerciales, les usages du commerce et les accords interprofessionnels.

La jurisprudence donne une idée du délai du préavis à respecter :

  • entre 6 et 12 mois pour une relation commerciale de moins de 10 ans ;
  • 12 mois pour une relation commerciale qui a duré entre 10 et 20 ans ;
  • entre 12 et 18 mois pour une relation commerciale de plus de 20 ans.

Cette règle est d’ordre public ce qui signifie qu’il ne peut y être dérogé même en période de crise sanitaire.

Quelles sont les sanctions en cas de non-respect du délai de préavis ?

A défaut de respecter un délai suffisant, la rupture de la relation commerciale sera considérée comme « brutale » et pourra engager la responsabilité du partenaire à l’origine de celle-ci (article L442-1, II du Code de commerce).

La victime de la rupture se verra attribuer des dommages et intérêts correspondant aux gains qu’elle aurait dû percevoir si la durée du préavis avait été respectée.

Les moyens pour rompre des relations commerciales établies en période de Covid-19

En l’absence de dispositions gouvernementales prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19 sur cette question de la rupture des relations commerciales, il convient de se référer au droit commun.

À ce titre, deux mécanismes existent : la force majeure et l’imprévision.

La force majeure permet en cas d’impossibilité d’exécuter le contrat, d’en suspendre l’exécution (si l’empêchement est temporaire) voire de le résoudre (si l’empêchement est définitif).

Dans le second cas, le partenaire est déchargé de toute ses obligations contractuelles et sa responsabilité ne peut pas être engagée.

Selon l’article 1218 du Code civil, un événement constitue un cas de force majeure lorsqu’il réunit trois conditions cumulatives :

  • l’événement doit être extérieur c’est-à-dire qu’il échappe au contrôle du débiteur
  • il doit être imprévisible c’est-à-dire non raisonnablement lors de la conclusion du contrat par les parties
  • et enfin, irrésistible c’est-à-dire que ces effets en peuvent pas être évités par des mesures appropriées.

La procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur 

L’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est ouverte aux salariés victimes ainsi qu’à leurs ayants-droit, si les victimes sont décédées.

La procédure commence le plus souvent, par une tentative de conciliation entre le salarié victime et l’employeur devant la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Cette procédure de conciliation est néanmoins facultative.

Trois solutions sont possibles :

  • aucune des parties ne se déplace à la réunion, la caisse établira un procès-verbal de carence  ;
  • toutes les parties sont présentes mais aucun accord ne se dégage, la caisse établira un procès-verbal de non conciliation  ;
  • toutes les parties sont présentes, l’employeur reconnaît le principe de la faute inexcusable, la caisse établira un procès-verbal de conciliation et les parties se retrouveront devant le juge pour la liquidation des préjudices.

En cas d’échec de la procédure de conciliation, le salarié victime peut saisir le pôle social du Tribunal judiciaire compétent.

La procédure devant le Tribunal se déroule en deux temps. Dans un premier temps, il statuera sur l’existence ou non d’une faute inexcusable de l’employeur et ordonnera, avant-dire droit, une expertise médicale. Après expertise, il statuera sur le montant des dommages et intérêts à allouer au salarié.

L’épidémie de Covid-19 est-elle un cas de force majeure ?

Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, a affirmé le 28 février 2020 que la crise du Covid-19 constituait un cas de force majeure pour les entreprises. « Sans présumer des dispositions qui pourraient être adoptées dans le cadre du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid -19, ces difficultés peuvent relever du régime de la force majeure, qui exonère les parties au contrat de toute faute contractuelle. Dans ces situations, les entreprises ne doivent donc pas dans le silence du contrat sur la force majeure se voir appliquer de pénalités, ni quelque autre sanction contractuelle que ce soit ».

Toutefois, c’est au juge qu’il appartient de déterminer, au cas par cas, si les conditions de la force majeure sont réunies.

Les juges ont parfois refusé de caractériser des épidémies de cas de force majeure. Telle est la solution retenue pour le virus Chikungunya « cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable ».

Néanmoins, l’état d’urgence sanitaire dans lequel se trouve la France ainsi que les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement, pourrait amener les juges à retenir la force majeure pour justifier l’inexécution temporaire ou définitive d’obligations contractuelles.

Les juges du fond ont d’ailleurs retenu la qualification de force majeure de l’épidémie de Covid-19 justifiant le déroulement d’une audience en l’absence du principal intéressé en raison d’une suspicion de contagion au coronavirus. Bien que cette décision ne concerne pas la matière commerciale, cette appréciation pourrait être transposable.

Il faut donc être prudent avant de rompre un contrat commercial puisqu’il est difficile de prévoir quelle solution le juge retiendra en cas de litige.

L’épidémie de Covid-19 est-elle une cause d’imprévision ?

Lorsque la force majeure ne peut pas être invoquée, la révision pour imprévision est également un moyen de rompre une relation commerciale. Toutefois, il est important de relever que l’imprévision ne peut être appliquée qu’aux contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016.

Prévue par l’article 1195 du Code civil, la théorie de l’imprévision prévoit la possibilité pour un cocontractant de demander la renégociation du contrat dès lors que trois conditions cumulatives sont réunies :

  • un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
  • rendant son exécution excessivement onéreuse ;
  • pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

Dès lors, en cas de changement imprévisible de circonstances (l’augmentation importante du prix des matières premières par exemple) qui entraîne des difficultés financières importantes pour l’une des parties, celle-ci peut demander la renégociation du contrat. À défaut d’accord entre les parties, celles-ci pourront convenir de la résolution du contrat.

En dernier recours, « le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Ainsi, il est fort probable que la Covid-19 entre dans le champ d’application de l’imprévision puisqu’elle a entrainé une hausse du prix de certaines matières premières.

Néanmoins comme pour la force majeure, la prudence est de mise du fait de l’absence de réponse claire de la part de la jurisprudence.

Enfin, l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020, a institué un mécanisme de report des sanctions (astreintes, pénalités, déchéances et clauses résolutoires) liées au non-respect des délais contractuels.