La question de l’inaptitude au travail des salariés est au cœur de multiples enjeux (médicaux, juridiques, financiers, organisationnels). Chaque année en France, plusieurs dizaines de milliers de salariés sont déclarés inaptes à leur poste de travail, avec toutes les conséquences que cette inaptitude entraîne. Toutes les entreprises, indépendamment de leur taille ou de leur secteur d’activité, sont concernées par cette question. La loi Travail et son décret d’application relatif à la modernisation de la médecine du travail, ont profondément modifié la procédure d’inaptitude au travail. Quels sont les éléments essentiels à connaître, aussi bien par le salarié que l’employeur, sur l’inaptitude au travail ? C’est l’objectif de cet article.
La définition de l’inaptitude au travail
L’inaptitude médicale au travail désigne l’incapacité (physique ou mentale) d’un salarié à exercer son activité professionnelle au sein de son entreprise. Elle s’apprécie toujours par rapport au poste occupé par le salarié.
L’inaptitude peut être professionnelle, non professionnelle, partielle (lorsque le salarié reste capable d’accomplir certaines tâches relatives à son poste) ou totale (lorsque le salarié n’est plus apte à accomplir aucune des tâches relatives à son emploi).
Pour la Cour de cassation, l’inaptitude est d’origine professionnelle lorsqu’elle résulte d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et ce, « dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie ». À cet égard, la jurisprudence a considéré que l’accident de trajet ne constitue pas un accident du travail. En effet, selon le Code de la sécurité sociale, un accident du travail est un accident « survenu par le fait ou à l’occasion du travail ».
La reconnaissance d’un accident du travail est donc subordonnée à 2 conditions :
- le salarié doit avoir été victime d’un fait accidentel dans le cadre de son activité professionnelle ;
- et ce fait doit avoir entraîné l’apparition soudaine d’une lésion.
L’accident dont le salarié est victime est donc présumé d’origine professionnelle, dès lors qu’il est survenu sur le lieu et pendant le temps de travail, même pendant un temps de pause. Selon la jurisprudence, le temps de travail inclut les temps de pause, de repas, d’astreinte, et s’étend à l’exercice des fonctions syndicales du salarié.
À l’inverse, l’inaptitude est dite « non professionnelle », dès lors :
- qu’elle n’est pas consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle ou que le salarié n’a pas rapporté la preuve de cette causalité ;
- et que l’accident de travail a eu lieu chez un autre employeur.
Le constat de l’inaptitude au travail
L’inaptitude d’un salarié à son poste de travail ne peut être constatée que par le médecin du travail lors :
- d’un examen médical d’aptitude à l’embauche ;
- d’une visite de suivi individuel renforcé réservée aux emplois à risques ;
- d’une visite de reprise après un congé maternité, une absence pour cause de maladie professionnelle ou d’un accident du travail ;
- d’une visite sollicitée par le salarié, l’employeur ou le médecin du travail.
Avant à l’entrée en vigueur de la loi « Travail », la reconnaissance de l’inaptitude d’un salarié à son poste de travail ne pouvait être constatée qu’après avoir effectué deux examens médicaux espacés de deux semaines. Ce n’est qu’à titre d’exception, qu’une procédure accélérée existait.
Ainsi, le Code du travail prévoyait que l’inaptitude d’un salarié pouvait être déclarée dès le premier examen médical lorsque :
- le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ;
- ou lorsqu’un examen de préreprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi « Travail », le principe est inversé. Un seul examen constatant l’inaptitude suffit en principe. Ce n’est que si le médecin du travail l’estime nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, qu’un second examen de reprise doit avoir lieu dans les quinze jours suivant le premier examen.
Concernant la déclaration d’inaptitude, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail qu’après avoir réalisé les quatre actions suivantes :
- avoir réalisé au moins un examen médical de l’intéressé accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires ;
- avoir réalisé ou fait réaliser une étude de poste ;
- avoir réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée ;
- avoir échangé, par tout moyen, avec l’employeur. Cet échange avec l’employeur est une nouveauté issue de la loi du 8 août 2016. Il est destiné à permettre à l’employeur de faire valoir ses observations sur les avis et propositions que le médecin du travail entend adresser.
À l’issue des ces quatre actions, le médecin du travail peut donc déclarer le salarié inapte à son poste de travail s’il constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste .
Cet avis d’inaptitude doit être adressé à l’employeur et au salarié dans un délai de quinze jours à compter du premier examen médical du salarié.
La contestation de l’avis d’inaptitude
Depuis le 1er janvier 2017, la contestation de l’avis d’inaptitude relève de la compétence du Conseil de prud’hommes. Avant cette date, cela relevait de la compétence de l’inspecteur du travail.
Le salarié ou l’employeur qui souhaite contester l’avis du médecin du travail doit saisir la formation de référé du Conseil de prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la Cour d’appel. L’avis du médecin-expert se substitue alors à celui du médecin du travail.
Cette saisine doit être faite dans les quinze jours à compter de la notification de l’avis médical.
À défaut de recours dans ce délai, l’avis du médecin du travail s’impose aux parties. Les juges du fond ne peuvent substituer leur appréciation à celle du médecin du travail.
Les conséquences de l’inaptitude au travail
Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Il pèse donc sur l’employeur une obligation de rechercher et, dans la mesure du possible de proposer, un reclassement au salarié déclaré inapte. Cette obligation s’impose aussi bien pour les salariés en CDI qu’en CDD et quel que soit le degré d’inaptitude du salarié.
Avant de proposer un reclassement au salarié, l’employeur doit obligatoirement demander, lorsqu’il existe, l’avis du Comité social et économique. Il doit alors délivrer au CSE toutes les informations nécessaires au reclassement du salarié, notamment l’avis d’inaptitude du médecin. En outre, la proposition de reclassement présentée par l’employeur au salarié doit prendre en compte, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.
L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
L’emploi de reclassement proposé par l’employeur doit être « aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé » par le salarié. L’employeur peut prendre en compte la position exprimée par le salarié déclaré inapte, pour le périmètre des recherches de reclassement.
Selon la jurisprudence, la recherche de reclassement du salarié inapte doit « s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ».
La rémunération du salarié
Le salarié déclaré inapte par le médecin du travail n’est pas rémunéré pendant le délai d’un mois dont dispose l’employeur pour le reclasser ou le licencier.
Toutefois, depuis le 1er juillet 2010, en cas d’inaptitude d’origine professionnelle, le salarié peut bénéficier pendant ce délai d’un mois, d’une indemnité temporaire d’inaptitude (ITI) versée par la CPAM.
Si au terme de ce délai, l’employeur n’a ni reclassé ni licencié le salarié inapte, il doit reprendre le versement du salaire correspondant à l’emploi occupé avant l’arrêt de travail.
Depuis le 1er janvier 2017, le licenciement pour inaptitude, d’origine professionnelle ou non, doit reposer sur l’un des motifs suivants :
- la justification par l’employeur de son impossibilité de proposer un emploi de reclassement ;
- le refus par le salarié de l’emploi proposé ;
- la mention expresse dans l’avis d’inaptitude du médecin du travail que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. »
Le salarié déclaré inapte à son poste est en droit de refuser le poste de reclassement proposé par l’employeur. Toutefois, si le salarié refuse l’offre proposée, l’employeur peut alors procéder à son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement. Un seul refus du salarié suffit pour permettre le licenciement.
La preuve de l’impossibilité de reclassement pèse sur l’employeur, dès lors qu’elle ne résulte pas d’un refus par le salarié du poste proposé. Comment l’employeur peut-il rapporter cette preuve ? À ce sujet, il existe une jurisprudence fluctuante qui, tantôt reconnaît que la preuve est rapportée, tantôt qu’elle est insuffisante. Par exemple, ne constitue pas une preuve de l’impossibilité de reclassement, la mention “inapte à tout emploi ” par le médecin du travail. À l’inverse, est admis comme preuve, le registre du personnel montrant « qu’aucun poste de travail de même niveau ou de niveau inférieur dans le service administratif n’était disponible ».
Si le reclassement du salarié est impossible, l’employeur doit respecter la procédure applicable au licenciement pour motif personnel. Cette procédure s’applique que l’origine de l’inaptitude soit professionnelle ou non professionnelle.
Cette procédure comprend ainsi :
- une convention à l’entretien préalable au licenciement pour inaptitude ;
- l’entretien préalable ;
- l’envoi de la lettre de licenciement.
Les indemnités de licenciement pour inaptitude
La rupture du contrat de travail pour inaptitude non professionnelle ouvre droit pour le salarié au versement d’une indemnité de licenciement légale ou conventionnelle, si celle-ci lui est plus favorable. Le salarié perçoit également une indemnité compensatrice pour le préavis non effectué ainsi que les congés payés acquis mais non pris à la date de la rupture du contrat.
Lorsque le licenciement résulte d’une inaptitude professionnelle, la rupture du contrat de travail ouvre droit pour le salarié :
- au versement d’une indemnité compensatrice pour le préavis non effectué et les congés payés acquis mais non pris à la date de la rupture du contrat ;
- au versement d’une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité de licenciement légale.
Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l’employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.
Enfin, si le licenciement du salarié a été prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement d’un salarié inapte, le tribunal pourra prononcer la réintégration du salarié dans l’entreprise.
En cas de refus par le salarié ou l’employeur, le juge octroie une indemnité au salarié qui se cumule avec l’indemnité compensatrice et, le cas échéant, l’indemnité spéciale de licenciement.